Le brame du cerf en Corrèze
C’est un des plus beaux spectacles offerts par la nature en Corrèze, attirant chaque année de nombreux passionnés. Très saisonnier, il garde cependant sa part de mystère et rien de tel qu’un éminent spécialiste pour lever le voile sur l’envers du décor.
En charge de l’Education à l’Environnement à la Fédération de Chasse de la Corrèze, Mathieu Presset s’est prêté au jeu des questions/réponses.
Rencontre avec un homme passionnant et très impliqué.
1/ Mathieu, déjà quelles sont les grandes missions de la Fédération Départementale des Chasseurs de la Corrèze (FDC19) en matière de gestion de la faune sauvage, notamment des cervidés ?
La FDC19 est une association type loi 1901, dotée d’un statut ministériel et chargée de missions de service public. Elle est agréée au titre de la protection de l’environnement et habilitée à être désignée pour prendre part au débat sur l’environnement.
Ses deux missions de service public sont l’indemnisation des dégâts du grand gibier aux agriculteurs, financée par les chasseurs corréziens, ainsi que la validation des permis de chasser (9.000 chasseurs corréziens). Elle forme aussi à la sécurité à la chasse, notamment avec la « formation décennale » obligatoire pour tous les chasseurs. Une de ses missions principales est bien sûr la mise en valeur du patrimoine cynégétique départemental et la protection et gestion de la faune sauvage et de ses habitats. (plus de détails sur www.chasse-correze.fr).
Concernant les cervidés et notamment le cerf, des comptages sont organisés à différentes périodes de l’année avec une analyse des tableaux de chasse. Le but de ce suivi est d’appréhender le niveau et la dynamique de la population afin d’ajuster au mieux la nécessaire régulation dans le cadre du plan de chasse obligatoire.
2/ Vous jouez également un rôle important en matière d’éducation à l’environnement. Pouvez-vous nous dire quelles sont les principales actions mises en œuvre ?
Oui effectivement, c’est aussi une des missions de la FDC19 qui est très investie dans ce domaine. Je dispose d’un agrément de l’Education Nationale pour intervenir auprès des écoles primaires corréziennes et des collèges.
Les animations se veulent pédagogiques et viennent illustrer les programmes par l’observation de l’environnement proche des élèves, de la faune sauvage locale et des milieux. Une visite à la Maison de la Chasse et de la Nature à Champagnac-la-Noaille, vient compléter le dispositif. J’interviens aussi pour les lycées agricoles du département qui viennent sur le site réaliser des travaux pratiques en lien avec leurs formations.
Enfin, nous rencontrons le grand public à l’occasion de diverses manifestations (soirée brame, festival de l’élevage…).
3/ Peut-on faire un rapide état des lieux du cerf en Corrèze avec les caractéristiques de cette espèce dans notre écosystème ?
Le cerf est le plus grand mammifère sauvage de notre département. Il est présent sur les 2/3 du territoire sauf au Nord-Est de Tulle et sur le plateau de Seilhac où il se fait plus discret. Il n’a pas de prédateur (pour l’instant) et la Corrèze lui offre un milieu idéal. Les prairies et forêts corréziennes répondent totalement à ses besoins alimentaires et de cadre vie.
4/ Comment s’est passé son introduction et à quelle époque ?
Le cerf a été réintroduit en Corrèze en 1956 et 1958 par la FDC19. Ce sont 12 animaux provenant du parc de Chambord (réserve nationale) qui ont été lâchés à chaque fois sur les communes de Marcillac-la-Croisille et Palisse. Ils n’ont pas été chassés pendant 22 ans et c’est en 1978, dans le cadre du plan de chasse obligatoire, qu’a été prélevé le premier cerf corrézien.
5/ Que peut-on dire de la prolifération de l’espèce depuis des décennies ?
L’espèce a mis du temps à se développer et à coloniser le département qui lui est ultra favorable. 65 ans après son introduction, elle est aujourd’hui à un niveau plutôt élevé et ce sont 1.900 animaux qui vont être attribués cette saison pour réguler et maitriser son évolution. Depuis plusieurs années, l’objectif départemental est de stabiliser la population voire de la faire diminuer sur certaines zones.
6/ Le brame du cerf est un extraordinaire spectacle naturel mais comment décrypter ce phénomène avec ses « codes » ?
Effectivement je ne vous contredirai pas, c’est « un extraordinaire spectacle naturel ». Discrets et quasi invisibles toute l’année, les grands cerfs corréziens sortent du bois sans peur pour la période du brame, s’exposent, crient (brament) et s’affirment comme maîtres de place.
Brame, intimidation physique et en dernier les combats, parfois violents, vont départager les mâles en capacité de se reproduire.
C’est une compétition naturelle obligatoire qui permet au vainqueur l’accès à la reproduction et de transmettre en héritage ses qualités physiques et génétiques aux générations futures. C’est essentiel à la survie de l’espèce et effectivement ce rituel est très codé.
7/ Mathieu, quels sont les secteurs géographiques de la Corrèze privilégiés ainsi que la période et les horaires pour en profiter ?
Les « spots brame » sont nombreux aujourd’hui grâce à la présence de l’espèce sur la quasi-totalité du département. Je ne peux pas vous cacher que les lieux historiques et bien connus de tous sont favorables. Mais c’est comme pour les coins à champignons et vous n’aurez que les coordonnées GPS précises de l’observatoire du Cerf (rires).
Pour ce qui est de la période, le pic se situe entre le 15 septembre et le 15 octobre mais il n’est pas rare d’entendre les cerfs dès la fin août lorsqu’ils prennent les places de brame afin d’alerter les biches de la présence des grands mâles. Le brame se poursuit après le 15 octobre mais les cerfs sont plus discrets quoique toujours présents dans les hardes pour attendre les biches en chaleur tardivement. On peut alors entendre bramer exceptionnellement jusqu’à début décembre.
Les cerfs peuvent bramer à toutes heures, même le jour, lors du pic d’activité mais la nuit reste privilégiée car ils sont beaucoup moins dérangés par les observateurs et les déplacements de véhicules.
8/ Quels conseils et consignes donner pour une observation respectueuse du brame ?
Je commencerai par le respect de la propriété privée car il y a malheureusement trop d’intrusions en forêts et dans les prairies corréziennes surtout, qui ont des conséquences tant pour le cerf que pour les propriétaires et éleveurs. En outre, les déplacements incessants de nombreux véhicules sur les routes, pistes forestières et chemins dérangent évidement les animaux.
Les meilleurs conseils pour profiter au maximum de ce spectacle naturel restent le silence et la discrétion. Pour rappel, l’éclairage nocturne des animaux est interdit et répréhensible. Chaque année les agents de l’Office Français de la Biodiversité et la gendarmerie effectuent des surveillances et des contrôles qui nécessitent parfois des contraventions.
9/ Quand et comment effectuez-vous des comptages de cerfs et avez-vous des chiffres à communiquer ?
Les comptages sont effectués chaque année au moment du brame par les chasseurs sur l’ensemble des territoires concernés par la chasse du cerf. Les chasseurs se rendent sur des points d’écoute préalablement définis, y restent ¼ d’heure minimum et recensent tous les cerfs bramant de la zone. Nous centralisons tous les résultats afin d’éliminer les « doubles comptages » et le chiffre obtenu est comparé chaque année.
Il est associé aux autres indicateurs comme les comptages de printemps au phare (Indice kilométrique d’abondance : IKA) et le tableau de chasse. Ceux-ci nous permettent d’apprécier la tendance d’évolution de la population et ainsi de proposer un prélèvement annuel pour une régulation optimale de l’espèce.
Nous ne sommes pas en capacité de vous donner le nombre de cerfs en Corrèze mais celui-ci est suffisant pour permettre le prélèvement de 1.900 animaux cette année, sachant que l’espèce progresse d’environ 25 % par an si elle n’est pas régulée ...
10/ Enfin Mathieu, que peut-on dire de l’adaptation de l’espèce aux changements climatiques et quelles sont les évolutions constatées en Corrèze ?
La richesse et la diversité du milieu corrézien, grâce aux forêts de feuillus et leur production de fruits forestiers, aux prairies et cultures et la quasi omniprésence d’eau, fait que le cerf trouve toujours de quoi satisfaire ses besoins vitaux.
Il n’est pas trop impacté par le réchauffement climatique pour l’instant.
Merci beaucoup Mathieu et pour en savoir (encore) plus, retrouvez le site d’éducation à la nature EKOLIEN.